Les lits
Après j'ai grandi, j'en ai débusqué un autre, un idéal je veux dire, j'ai retiré les mains de ma bouche, de toute façon il n'en est rien sorti, j'ai tout gardé dans ma tête - Clint Eastwood - encore un qui fait bien mine de rien, pas un de ceux qui se regardent marcher. Moi j'avais 12 ans et je passais l'été dans une grande maison à la campagne avec une famille à cinq générations, de l'arrière-grand-mère au premier né des cousines. Un certain luxe !
Nos seules préoccupations étaient les cabanes, les aventures, la bande et les escapades dans le village sur les biclounes pour acheter des bombecs. Le soir, on jouait aux jeux des métiers ou aux cadavres exquis et c'était avec une grande délectation que nous dérivions vers le "crotte de caca pipi". Tout ça pour dire que les journées étaient bien remplies, on n'avait même pas le temps de regarder la télé, exit Joss Randall.
On montait se coucher vers 23 heures, après les derniers rires et bousculades, on traînait quand même les pieds, pas quand on passait devant Raoul, fameux St Bernard, brave et baveux, fier gardien de la maison. Au loin, dans le Grand Salon, style XIXe, les parents avaient la permission de minuit et plus, la permission de siroter une prune dans quelques fumées de Gauloises. On montait dans la tour et dans les chambres pavées, se coucher dans des lits frais ou froids selon la saison, des lits bateaux, des lits d'Afrique ou de la tante Olympe. Le sommier de bois et ressorts ; le trop lourd matelas de laine et crin tout enserré dans sa toile beige et blanche ; l'alèse salvatrice ; le piqué de coton, ah ! le piqué de coton ! le drap de dessous blanc pur coton, séché et parfumé au jardin ; le drap de dessus parfois de lin, lourd qui semble mouillé, bordé au pied et bien remonté en haut avec ce joli rabat brodé aux initiales des familles accordées, en point bourré blanc sur blanc ; la couverture piquée bicolore ou en carré de laine tricotée spécialité d'une famille économe et témoin de longues soirées d'ouvrage ; et comme cela ne suffisait pas un édredon, tout gonflé de plumes, douillet que l'on écrasait avec plaisir ; l'oreiller bien sûr et un traversin pour le luxe.
Voilà le lit ! le lit de campagne, mémoire, profond, partagé... parfois au ressort cassé pour le plus grand jeu des couples qui ne veulent pas dormir!
On trouvait dans la maison une collection complète de lits, du moïse pour nourrisson au lit en fer, boules de cuivre et matelas en balle d'avoine, de l'alcôve discrète au lit de poupée pour faire comme les grands et quand il n'y avait vraiment plus rien, le lit de camp, vague souvenir d'une brigade dans l'Atlas. Mais il restait encore le fauteuil crapaud du salon empire, le lit de celui qui rentrait un peu trop tard, au moins dormira-t-il. Sa grand-mère, elle, sera dans son lit, bien éveillée guettant le retour du petit raisonneur...
Le film est fini, Steve s'en est sorti, rare pour un film des 70's, il a fini la course et le voilà qui repart avec son élégante désinvolture, à moins que ce ne soit une désinvolte élégance. Je peux m'endormir. J'ai définitivement adopté le style nordique avec la couette et la paresse, le grand regret c'est le drap débordé au pied qui ne traîne plus entre les doigts de pieds - pas les orteils - les doigts de pied qui attrapent sûrement mieux le frais, le frais des mains dans l'herbe.
Les lits, une raison de plus de garder la grande maison, celle de la campagne..
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